ETF : alerte sur la liquidité du marché des fonds indiciels en EuropePar Rejane Reibaud | 12/11 | 06:00
Plus de 80 % des échanges des fonds cotés indiciels ont lieu en dehors des Bourses.
Les fournisseurs s'inquiètent de la fragmentation du marché.
ETF : alerte sur la liquidité du marché des fonds indiciels en Europe

Y aurait-il un problème de développement du marché des ETF (« exchange traded funds ») en Europe ? Alors que ces fonds cotés, chargés de répliquer un indice, jouissent d'une très forte croissance depuis leur apparition il y a douze ans, leurs promoteurs sont insatisfaits. Les échanges sur les ETF ont en effet lieu à plus de 80 % en dehors de la Bourse, c'est-à-dire en OTC. Que s'est-il passé pour que les Bourses soient à ce point boudées ? Pavé dans la mare, le 8 octobre, iShares (groupe BlackRock), le plus grand fournisseur mondial, a même annoncé qu'il allait coter des ETF sur la plateforme alternative Chi-X, concurrente directe des plateformes traditionnelles comme Nyse Euronext, afin « d'améliorer la liquidité du marché ».
Un marché trop fragmenté
Dans la pratique, un fournisseur d'ETF a potentiellement affaire à 22 bourses en Europe, contre deux ou trois aux Etats-Unis. Si aucun d'entre eux ne s'est amusé à coter les ETF sur toutes ces places, un ETF peut tout de même être coté sur cinq à six bourses différentes. Du coup, il est très difficile de consolider les opérations de vente et d'achat sur un même ETF en un clin d'oeil. Cela empêche un institutionnel qui voudrait passer un ordre d'un gros montant de voir instantanément la liquidité de l'ETF, et les ordres d'achat et de vente en cours. En outre, une cotation a un prix, variant de 5.000 à 10.000 euros, selon les spécialistes. Sachant que 4.861 cotations d'ETF sont recensées, cela représente plusieurs millions d'euros de frais pour les opérateurs, qui les répercutent sur les clients. « Tous ces phénomènes créent des frictions », reconnaît Pedro Fernandes, responsable du développement des ETP (« exchange traded product ») en Europe chez Nyse Euronext.
« Les coûts de traitement pour les intermédiaires sur les Bourses traditionnelles sont élevés. Du coup, ils réalisent des transactions OTC, c'est-à-dire de gré à gré. Le problème est que ces transactions ne sont pas reportées aux Bourses et que, par conséquent, la liquidité réelle des ETF n'est pas affichée », explique Olivier Paquier, directeur SPDR ETF pour la France. « Aux Etats-Unis, tous les ordres doivent passer par la Bourse pour des raisons de transparence. En Europe, ce n'est pas une obligation et les institutionnels préfèrent utiliser le marché OTC », explique Benoit Sorel, directeur institutionnel d'iShares France.
Un potentiel ralenti
Conséquences, après 12 ans d'existence, le marché européen n'a pas enregistré la croissance potentielle qu'il aurait pu avoir. « Au départ, les européens s'étaient dit qu'ils pouvaient exporter tel quel le modèle américain, largement utilisé par la clientèle des particuliers. Pour ce faire, il paraissait plus adapté de coter les ETF sur les bourses pour donner un maximum de possibilités aux investisseurs individuels. Mais 10 ans plus tard, on se rend compte que le résultat est mitigé, le modèle ayant sous-estimé l'importance du marché de gré à gré », explique Ludovic Djebali de Source. Les volumes sont décevants. Le marché européen reste près de 4 fois plus petit que celui des Etats-Unis alors même qu'il y a autant de fournisseurs et même plus de produits. C'est aussi un marché d'institutionnels. Ils représentent 75 % des encours contre 15 % pour les particuliers. Or ces derniers ont fait exploser le marché aux Etats-Unis.
Des solutions diverses
L'accord que iShares a signé avec Chi-X fait partie des diverses solutions adoptées par les acteurs. Seulement deux ETF seront toutefois cotés en Europe dans une poignée de jours. L'objectif est de voir si les investisseurs sont séduits.
Si Chi-X sera ouverte à tous les autres fournisseurs, ces derniers ont, cependant, commencé à adopter d'autres solutions. La première a été de réduire le nombre de produits listés. Deutsche Bank, cet été, en a par exemple rayé 36 de la cote, soit l'un des plus importants mouvements de « délisting ». iShares-BlackRock a aussi fait des mouvements similaires, le plus souvent en éliminant les produits les plus petits et ayant peu de mouvements.
Les fournisseurs sélectionnent, en outre, davantage les places de cotations lorsqu'ils créent de nouveaux ETF. Arrivé seulement en 2009 en Europe, Source a, par exemple, réservé ses cotations à deux places : Londres pour les cotations en dollars et livre sterling puis Xetra (Allemagne) pour les fonds libellés en euros. « Nous avons rajouté la Suisse depuis, mais c'est un cas particulier qui permet d' offrir un accès simplifié à une clientèle ayant des contraintes spécifiques », explique Ludovic Djebali. De même, Lyxor cote ses nouveaux fonds essentiellement sur Nyse Euronext et à Londres.
Enfin, des solutions sont apportées par d'autres acteurs, en premier lieu desquels les Bourses. « Certaines bourses comme le LSE ont mis en place un système de reporting des ordres OTC, ce qui a pris des années », explique Ludovic Djebali. La plate-forme de trading Tradeweb a également eu un développement spectaculaire grâce à un système de reporting et négociation des opérations de gré à gré . « Les clients institutionnels et professionnels sont de plus en plus nombreux à utiliser ce type de plateforme qui participe à l'amélioration de la liquidité des ETF en Europe », assure Ludovic Djebali. Une étude de Ernst and Young a montré que si ces problèmes structurels étaient résolus, le marché européen pourrait doubler dans les cinq prochaines années.
Réjane Reibaud