Fonction publique: six mesures choc pour "dégraisser le mammouth" Par Emilie Lévêque
Baisser le nombre de fonctionnaire, les faire travailler plus, s'attaquer à leur statut, privatiser des services... Les coûts de nos services publics pourraient être réduits. A condition de briser des tabous et de prendre des décisions politiques courageuses.
Six Français sur dix estiment qu'il y a trop de fonctionnaires en France. De fait, l'emploi public représente 20% de l'emploi total en France, contre 15,5% en moyenne dans l'ensemble des pays de l'OCDE (voir encadré). "Le service public français a un problème de productivité. Or ce n'est pas avec plus de moyens que l'on améliore la qualité du service rendu. Le service public peut et doit être producteur d'externalité positive, mais à condition de se réorganiser et se réformer en profondeur, estime Eric Verhaeghe, ancien haut fonctionnaire, ancien président de l'Apec, fondateur de Parménide, cabinet de conseil en innovation sociale.
Chiffres-clés
5,4 millions d'agents travaillent dans la fonction publique + 134.500 bénéficiaires de contrats aidés, 6 millions de fonctionnaires au sens large, si l'on inclut les agents des organismes privés à financement public. 45% appartiennent à la fonction publique de l'État, 34% à la fonction publique territoriale et 21% à la fonction publique hospitalière. La fonction publique représente 20% de l'emploi en France contre 15,5% en moyenne dans l'OCDE. La France compte 90 emplois publics pour 1000 habitants, l'Allemagne 50 pour 1000.
"Nous avons un nombre de services publics très larges mais ils ne sont pas tellement meilleurs qu'ailleurs ; ils ne légitiment en tout cas pas que nous surpayons ces services. Nos services publics nous coûtent 11% de plus à produire par rapport aux pays de l'OCDE : la France y consacre 27% de son PIB contre 24,8% en moyenne au sein de l'Union européenne. Ce surcoût équivaut à 60 milliards d'euros par an!", s'exaspère Agnès Verdier-Molinié, directrice de l'iFRAP, think tank qui fustige le gaspillage des deniers publics. Selon elle, ces coût de production de nos services publics pourraient être réduits. A condition de briser des tabous et de prendre des décision politiques courageuses. Voici six pistes pour optimiser les dépenses, la productivité et la qualité du service public français.
Faire la transparence sur les coût de l'administration
"Combien coûte ma place en crèche ? Combien coûte ma cantine, mon maire, mon président de région ? A l'heure où l'on nous demande de payer plus d'impôt, les Français ont le droit d'avoir des réponses à ces questions, estime Agnès Verdier-Molinié. L'opacité actuelle des données publiques est un frein à des économies de dépenses. Si les citoyens se rendent compte que la gestion des déchets coûte moins cher dans la commune voisine, ils demanderons des comptes à leur maire." "La priorité numéro un, c'est la transparence, et notamment de la commande publique et des appels d'offres, renchérit Eric Verhaege, afin de s'assurer que l'administration optimise ses dépenses".
Exemple concret du manque de transparence en France, cité dans le rapport publié cette semaine par l'ONG Transparency International, qui classe la France 22e sur 177 pays : le maire de Chatillon a été condamné en septembre dernier à un an de prison avec sursis, 10.000 euros d'amende et un an d'inéligibilité pour favoritisme et prise illégale d'intérêts. Il avait favorisé son beau-frère, gérant d'un cabinet d'architectes, dans l'obtention de deux marchés publics pour un montant total de 110.000 euros.
"La transparence administrative est devenue dans plusieurs pays un important levier de la réforme de l'Etat, poursuivant, à la faveur des NTIC, l'objectif d'une meilleure compréhension par les citoyens de l'utilisation des crédits publics", écrit l'IGF (l'inspection générale des finances) dans un rapport de 2011 sur les stratégies de réforme de l'Etat à l'étranger. C'est l'une des réformes les moins douloureuses et les moins coûteuses à mettre en place. Mais elle nécessite une volonté politique pour changer les mentalités, tant l'administration est opaque, et ce à tous les échelons. Il faut aussi définir les limites à ne pas franchir de cette transparence. L'Italie a été très loin en la matière : les citoyens ont accès non seulement à l'organigramme, au nom et au taux d'absentéisme des agents, mais aussi à leur salaire, CV et numéros de téléphone...
Clarifier les missions et supprimer des échelons
"La première chose à faire, c'est de dire qui fait quoi et qui paie pour quoi. Aujourd'hui, il y a des doublons de compétence à tous les échelons administratifs, chacun s'occupe un peu de tout. Cela génère des postes et du temps de travail inutiles et coûteux", critique Agnès Verdier-Mollinié. Formation professionnelle, culture, enseignement, tourisme, aides aux entreprises, environnement, transports... dans la plupart des grandes missions de service public, l'Etat, les régions, les départements et les communes interviennent à divers échelons.
Exemple concret: le créateur d'entreprise est confronté à une multitude de dispositifs d'aide (plus d'un millier), proposés à la fois par les communes, les départements et les régions, par les directions centrales de l'Etat et les organismes publics nationaux tels la BPI et Oseo. Autre chevauchement de compétences: la gestion (construction, entretien, rénovation) des écoles publiques maternelles et élémentaires relève de la commune, celle des collèges du département et celle des lycées de la région ; mais c'est l'Etat qui paie le salaire de tous les enseignants de premier et second degré.
Un acte politique fort serait donc de décentraliser les compétences en généralisant le principe de compétences exclusives et de supprimer les financements croisés. L'Etat pourrait aussi se désengager du financement d'un certain nombre de missions telles le tourisme, très bien assuré par le niveau régional, ou encore la culture. Clarifier le qui fait quoi dans le mille-feuille administratif permettrait d'économiser 11,6 milliards d'euros par an, selon les estimation de l'iFRAP. La question récurrente, mais toujours éludée, de la suppression de certains échelons administratifs peut une nouvelle fois se poser. L'OCDE recommande par exemple de fusionner les petites communes de moins de 5.000 habitants et de supprimer les départements.
Baisser le nombre de fonctionnaires
La réforme de l'Etat canadien dans les années 1990 est érigée en modèle. Entre 1993 et 1999, le gouvernement libéral dirigé par Jean Chrétien a supprimé environ 20% des effectifs fédéraux. "Tous les ministères ont dû diminuer leurs dépenses de 25%, explique Jean-François Savard, professeur à l'École nationale d'administration publique du Québec (Enap). Les suppressions de postes ont été indolores à l'époque parce qu'un grand nombre de fonctionnaires âgés ont bénéficié d'un plan de pré-retraite ; les plus jeunes ont bénéficié d'une année de salaire pour trouver un autre poste au sein de la fonction publique ou pour migrer vers le privé". Le bilan de cette réforme est aujourd'hui mitigé.
>> En savoir plus: Pourquoi la réforme de l'Etat au Canada n'est pas si exemplaire
Il n'est pas possible d'appliquer cette recette en France, d'autant que mettre les fonctionnaires à la retraite ne ferait que gonfler la masse salariale de l'Etat qui paie les retraites de ses agents, alors qu'au Canada, les retraites des fonctionnaires sont versées par une caisse privée. Toutefois, il est possible de mettre fin à l'inflation des effectifs. Entre 2000 et 2011, l'emploi public en France a augmenté de 11% (il a baissé de 6,8% dans la fonction publique d'Etat mais a augmenté de 37,9% dans la territoriale et de 21,4% dans l'hospitalière). La droite au pouvoir a lancé en 2007 la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui prévoyait notamment le non-remplacement d'un fonctionnaire partant en retraite sur deux, uniquement au niveau de l'Etat. La gauche au pouvoir depuis mai 2012 a mis fin à cette règle et a promis, non pas de baisser, mais de stabiliser les effectifs de l'Etat. La pression sur les effectifs des hôpitaux publics et des collectivités est moins directe : les premiers devront faire un effort d'économies de 440 millions d'euros en 2014 et les secondes verront leurs dotations de l'Etat baisser de 1,5 milliard.
L'UMP propose de remettre à l'ordre du jour le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Pour Agnès Verdier-Molinié, il faut aller beaucoup plus loin : "Il faut geler toutes les embauches, c'est-à-dire ne remplacer aucun des fonctionnaires partant à la retraite, et imposer cette règle aux trois fonctions publiques". L'iFrap chiffre à 700.000 le nombre de postes de fonctionnaires que cette règle permettrait de supprimer d'ici à 2021. Un objectif très ambitieux qui ne serait pas atteint sans douleur : des services devraient être supprimés, et dans le contexte actuel de morosité économique, une forte hausse du chômage pourrait en découler.
Les faire travailler plus
"Quand un pays est en très grande difficulté, on ne peut pas dire qu'on va s'en sortir sans demander d'efforts autres que celui d'augmenter les impôts. Par exemple demander aux fonctionnaires de l'Etat et des collectivités territoriales de travailler un peu plus pour permettre d'assumer les missions qui sont celles de l'Etat. C'est une nécessité absolue", a déclaré mardi 3 décembre sur RTL l'ancien Premier ministre UMP François Fillon.
Selon un rapport de l'OCDE (Panorama des administrations publiques 2011), le nombre annuel moyen d'heures de travail pour les fonctionnaires des pays de l'OCDE est de 1742 heures, variant entre plus de 2000 heures au Chili et un peu plus de 1500 heures au Portugal et en... France. Avec 35 heures, la France et le Portugal ont la durée légale de travail hebdomadaire pour les fonctionnaires la plus basse de l'OCDE. Toujours selon ce rapport, le nombre annuel moyen de jours de travail pendant lesquels les fonctionnaires sont en congé maladie est de 10,5 en moyenne dans l'OCDE ; il est de 13 jours en France.
"Avoir appliqué les 35 heures à la fonction publique a été une erreur, cela a augmenté la sous-productivité des agents", estime Agnès Verdier-Molinié. Selon la directrice de l'iFRAP, supprimer les RTT des fonctionnaires serait un important levier d'économies. Selon ses estimation, rétablir le jour de carence en cas d'arrêt maladie - pendant une journée, les fonctionnaires n'étaient pas indemnisés par l'assurance-maladie, une mesure mise en place par la précédente majorité de droite fin 2011 et supprimée dans le budget 2014 -, permettrait d'avoir 4.000 personnes de plus à un instant T. Autre calcul : augmenter de deux heures le nombre d'heures d'obligation de cours par semaine des enseignants, de 18 à 20 heures pour un certifié et de 15 à 17 heures pour un agrégé, permettrait d'économiser 40.000 postes équivalents temps plein.
S'attaquer à leur statut
"Le statut protégé de la fonction publique - l'emploi à vie et un calcul des retraites plus avantageux - est un boulet qui coûte 18 milliards d'euros par an à l'Etat", affirme Agnès Verdier-Molinié. Selon elle, on ne peut pas agir sur le stock actuel mais sur le flux de nouveaux entrants : toutes les futures embauches dans la fonction publique, après la période de gel de cinq ans, devraient se faire sous le régime de droit privé, avec la possibilité de licencier et un calcul de la retraite sur les 25 meilleures années de carrière contre les dix dernières actuellement.
Eric Verhaeghe propose d'aller plus vite : "Les directeurs d'administrations centrales et de services déconcentrés ne sont jugés que sur leur capacité à ne pas faire de vague. Il faut les pousser à prendre des risques, en réformant leur statut et notamment en prévoyant la possibilité de les licencier s'ils n'atteignent pas les objectifs financiers et de performances fixés", explique cet ancien haut fonctionnaire.
S'attaquer au statut des fonctionnaires, d'autres pays l'ont fait. En 1993, la Suède a mis fin à l'emploi à vie pour 90% de ses fonctionnaires (les 10% d'effectifs publics conservant ce statut sont des magistrats, diplomates...). La même année, l'Italie a adopté une loi similaire substituant la contractualisation à une logique statutaire : 85% des agents publics sont aujourd'hui des salariés de droit commun. Idem au Royaume-Uni.
Privatiser des services
Même en réduisant le nombre de missions et les doublons, ou encore en optimisant les dépenses par une plus grande transparence, supprimer des postes de fonctionnaires ne pourra se faire à quantité de services constante. "Une des solutions est de s'appuyer sur le privé en développant les délégation de services publics et en externalisant la gestion de certains services, explique Agnès Verdier-Molinié. C'est déjà le cas au niveau local pour les crèches, la restauration, l'entretien des locaux, le jardinage, etc. Il faut aller plus loin au niveau de l'Etat et des hôpitaux".
"Il faut un choc de privatisation massif pour l'école, estime Eric Verhaeghe. L'idée que l'école publique est ce qu'il y a de mieux pour l'éducation est largement battue en brèche". "Une crèche publique gérée par le privé coûte 10% moins cher qu'une crèche sous gestion publique, affirme Agnès Verdier-Molinié. Les écoles privées sous contrat coûtent en moyenne 30% moins cher à la collectivité que leurs homologues publics".
Mais quel serait leur impact sur la qualité des services publics? En Suède, la part des services externalisés par les municipalités a doublé entre 2000 et 2010, avec un recours particulièrement accru pour les soins aux personnes âgées et l'école (crèches, maternelle et école élémentaire). "Concernant l'éduction, il ne semble pas y avoir de preuve de la détérioration de la qualité du service ; les études ne permettent pas non plus de conclure à une qualité accrue des écoles privées sur les écoles publiques", écrivent les auteur du rapport de l'IGF. En revanche, le coût des services publics a connu une inflation, liée à la surcapacité des écoles publiques en raison du départ des élèves vers le privé.
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